Aux
marches de l’Empire « à cent têtes et cent corps », sommeille une
province minérale et nue où le froid, le givre, les bourrasques semblent
ankyloser les habitants d’une bourgade qui ne signalait jusque-là ni
notoriété historique, ni intérêt géographique, si ce n’est d’être placée
à la frontière « d’un pays dont la bannière se frappait d’un croissant
d’or », et dont la vitalité contraste avec l’épuisement ranci du
village aux passions tristes.
Un jour, le curé est découvert
mort. La tête fracassée par une pierre. De quelle nature est le crime ?
Qui pouvait en vouloir à ce curé d’une terre où les chrétiens et les
musulmans vivaient depuis toujours en bonne entente ? Que faire, qui
accuser, et qui entraver dans son action si, à partir de ce meurtre,
s’ordonne toute une géométrie implacable d’actes criminels et de
cruautés entre voisins ? Il y a un heureux : le Policier, Nourio, car
« c’était fabuleux pour lui d’avoir une pareille affaire, dans ce lieu
abandonné de toute fantaisie, de tout grain de sable, roulé dans
l’ordinaire des jours ». Le voilà lancé dans d’inutiles recherches. À
quoi sert de s’opposer au cours impétueux des choses ?
Dans ce
vieux monde de l’Empire qui s’affaisse, « dans un sommeil épais,
s’enroulait dans sa léthargie comme un escargot fainéant bâille dans sa
coquille », il y a tous les personnages, en chairs et en vices, qui
conviennent au déroulement de la tragédie : chacun joue à merveille sa
partition. Nourio, le Policier au teint olivâtre et aux pulsions
incontrôlables. Baraj, l’Adjoint dont l’apparence de bête placide et
musculeuse dissimule l’âme d’un enfant poète. Lémia, la fillette aux
formes adolescentes dont les ombres et les pleins agacent les nerfs du
Policier. Tant d’autres, et même les fantômes des temps passés, qui
n’ont en commun, dans leur médiocrité âpre et satisfaite, dans le secret
de leurs âmes, que d’agir en comparses du grand Effondrement de
l’Empire. De suspens en rebondissements, l’intrigue haletante se double
d’une grande réflexion sur nos errements contemporains, la volonté de
quelques-uns de réécrire l’Histoire, la négation de certains crimes de
masse et autres arrangements avec la réalité.